Chez l’Homme aussi, l’hippocampe code le temps qui s’écoule

Résultats scientifiques Neuroscience, cognition

Pour se souvenir d'une expérience passée, le cerveau doit pouvoir représenter à la fois le temps et les événements survenus afin de les assembler dans le bon ordre.
A l’aide de microélectrodes implantées dans le cerveau de patients, les scientifiques montrent l’existence de cellules temporelles dans l'hippocampe dont certaines pourraient jouer un rôle essentiel dans les mécanismes de mémoire où les éléments « quoi », « où » et « quand » sont liés pour former une mémoire cohérente. Ces travaux sont publiés dans le  Journal of Neuroscience.

La mémoire épisodique fait référence à notre capacité de nous souvenir des « quoi, où et quand » d'une expérience passée, et pour créer des souvenirs épisodiques, il faut pouvoir lier fidèlement entre eux dans le temps les différents événements de cette expérience. Le cerveau doit donc être capable de représenter à la fois le flux temporel et l'ordre des événements afin de les « coller » ensemble dans le bon ordre.

Des « cellules temporelles » - neurones portant des informations temporelles et jouant certainement un rôle essentiel dans ce processus mnésique - ont été mises en évidence à plusieurs reprises chez les rongeurs, mais on ne sait toujours pas exactement dans quelle mesure une sélectivité temporelle similaire existe également dans l'hippocampe humain.

Dans cet article, les auteurs montrent que le contexte temporel module l'activité de neurones de l'hippocampe humain au cours d'expériences structurées dans le temps. Pour cela, ils ont enregistré à l’aide de microélectrodes implantées dans le cerveau de 15 patients épileptiques - les électrodes étant implantées pour raisons médicales - l'activité neuronale hippocampique pendant qu’ils apprenaient des séquences d'images prévisibles. Au cours d’une séance d’apprentissage, les patients devaient retenir l’ordre d’apparition de 5 à 7 images, chaque séquence étant répétée 60 fois. Au cours de ces séquences, un carré noir apparaissait parfois et ils devaient alors désigner quelle image parmi les 2 présentées suivait la séquence. Dans un second temps, les mêmes séquences étaient présentées mais des intervalles de 10 secondes sans image étaient intercalées et le patient devaient juste attendre la reprise de la séquence. Au total, 429 neurones isolés ont pu être enregistrés pour la première expérience et 96 pour la seconde. Les analyses statistiques ont été réalisées au niveau des neurones individuels et au niveau de la population.

Les scientifiques ont pu ainsi montrer l’existence de cellules temporelles dans l'hippocampe humain qui portent des informations temporelles adaptées au fur et à mesure que les sujets progressent dans une séquence définie d'événements et également pendant les périodes d’attente présentée dans une séquence. De plus, ces codages temporels ont été rapportés non seulement au niveau de l’activité de neurones isolés mais également au niveau de l’activité enregistrée sur toute la population neuronale.

De plus, les auteurs ont mis en évidence que certaines de ces cellules temporelles humaines transmettaient aussi des informations sensorielles sur la présence ou l'absence d'un stimulus présent dans une séquence et sur son identité. De telles représentations multidimensionnelles pourraient jouer un rôle essentiel dans les mécanismes de mémoire épisodique dans lesquels les éléments « quoi », « où » et « quand » sont liés pour former une mémoire cohérente.

Le phénomène subjectif du « voyage mental dans le temps » est une pierre angulaire de la mémoire épisodique. Au cœur de notre faculté à revivre le passé se trouve notre capacité à nous rappeler de manière vivante des événements particuliers qui se sont produits à un endroit spécifique et dans un ordre temporel défini. Les résultats rapportés ici démontrent que les neurones de l'hippocampe humain peuvent rendre compte de cette mémoire en représentant le temps qui s’écoule.

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© Leila Reddy
Figure : 1ère expérience : les participants ont vu une séquence d'images dans un ordre fixe et ont été invités à apprendre l'ordre de la séquence. Cette séquence se composait de 5 à 7 images présentées chacune pendant 1,5 s et suivie d'un intervalle de 0,5 s (carré gris clair). La séquence a été répétée 60 fois. De temps en temps (20 % des cas), un carré noir (test) apparaissait et les participants devaient décider laquelle des deux images alors présentées suivait la séquence apprise.
2ème expérience : similaire à l'expérience 1, à l'exception de la présence de périodes de 10 secondes (rectangle noir) pendant l'apprentissage de la séquence.

Pour en savoir plus :
Human hippocampal neurons track moments in a sequence of events.
Leila Reddy, Benedikt Zoefel, Jessy K. Possel, Judith C. Peters, Doris Dijksterhuis, Marlene Poncet, Elisabeth C.W. van Straaten, Johannes C. Baayen, Sander Idema, Matthew W. Self.
Journal of Neuroscience. 28 juin 2021 . https://doi.org/10.1523/JNEUROSCI.3157-20.2021

Contact

Leila Reddy
Chercheuse CNRS au Centre de recherche cerveau et cognition-Cerco (CNRS/Université Toulouse Paul Sabatier)

Laboratoire

Centre de recherche cerveau et cognition - CerCo (CNRS/Université Toulouse Paul Sabatier)
Pavillon Baudot –  CHU Purpan
BP 25202 

31052 Toulouse Cedex