Accéder à l’inaccessible

Résultats scientifiques Biochimie-biologie structurale

Les régions hétérochromatiques des génomes eucaryotes, riches en séquences répétées,   sont très compactes et peu accessibles, toutefois l'hétérochromatine doit conserver un certain degré d'accessibilité pour permettre à d'importants processus biologiques impliquant les molécules d’ADN de se produire, comme la réplication, la réparation des dommages ou la méthylation. Dans cette étude publiée dans la revue Nature Communications, les scientifiques montrent, chez la plante Arabidopsis thaliana, que le variant d’histone H2A.W permet de maintenir une accessibilité optimale de l’hétérochromatine.

Les génomes eucaryotes sont présents sous la forme d’une structure moléculaire appelée chromatine. Le nucléosome, l'unité de base de la chromatine, contient deux exemplaires de chacune des histones centrales H2A, H2B, H3 et H4, enveloppé par environ 147 paires de bases d'ADN. Une autre histone, H1, est située à la jonction entre deux nucléosomes adjacents.  La chromatine est organisée en deux domaines distincts : l'hétérochromatine, qui est enrichie en séquences répétées, et l'euchromatine, qui comprend principalement des gènes codant des protéines. L'euchromatine possède une structure relâchée, accessible, et associée à l'activité transcriptionnelle, tandis que l’hétérochromatine empêche la transcription et est souvent compactée en structures d'ordre supérieur. Pourtant, l'hétérochromatine doit tout de même conserver un certain degré d'accessibilité afin de permettre à d'importants processus biologiques de se produire, tels que la réplication de l'ADN et la réparation des lésions, la transcription, ou encore le maintien de la méthylation de l'ADN. Chez les plantes à fleurs, les régions hétérochromatiques se distinguent par un niveau élevé de méthylation de l’ADN et également par la présence du variant H2A.W de l’histone H2A. L’histone de liaison H1 est aussi associée préférentiellement à l’hétérochromatine, et en liant les nucleosomes et l’ADN qui les sépare, H1 contribue à compacter l’hétérochromatine.

Dans le cadre d’une collaboration avec une équipe américaine de l’Université de Californie Los Angeles et une équipe autrichienne du Gregor Mendel Institue (Vienne), les chercheurs ont étudié l’influence du variant H2A.W sur la structure de l’hétérochromatine. En utilisant la technologie CRISPR/cas9 pour induire la perte totale d’H2A.W chez la plante Arabidopsis thaliana, les chercheurs ont mis en évidence que la présence de ce variant d’histone stabilise l’accessibilité et la méthylation ADN de l’hétérochromatine. Les résultats montrent que la présence de H2A.W dans les nucléosomes inhibe une accumulation excessive de l’histone de liaison H1 dans l’hétérochromatine, probablement car H2A.W entre en compétition avec H1 pour se lier à l’ADN séparant les nucléosomes. Ainsi, l’absence de H2A.W conduit à une augmentation du niveau de l’histone de liaison H1, induisant une plus forte compaction et une diminution de l’accessibilité de l’héterochromatine. Cette baisse d’accessibilité limite l’accès à l’ADN des enzymes assurant le maintien de la méthylation de l'ADN au cours des divisions cellulaires, entrainant ainsi une baisse du niveau de méthylation de l'ADN de l’hétérochromatine. La relation antagoniste entre les variants H2A spécifiques de l'hétérochromatine et H1 semble avoir évolué de manière convergente chez les mammifères.

Les protéines associées à l'hétérochromatine sont généralement considérées comme des facteurs limitant l'accessibilité de l'ADN et favorisant sa compaction. Cette étude met en lumière que certaines de ces protéines interviennent plutôt pour préserver un certain niveau d'accessibilité de l'hétérochromatine nécessaire au bon déroulement de différents processus biologiques.

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© Olivier Mathieu
Figure : L’accessibilité de l’hétérochromatine est altérée dans des plantes dépourvues du variant d’histone H2A.W Dans les noyaux des cellules d’une plante sauvage d’Arabidopsis thaliana (WT ; photo de gauche), l’hétérochromatine forme des structures appelées chromocentres, fluorescentes après coloration de l’ADN au DAPI. En l’absence de H2A.W (h2a.w-2 ; photo de droite), les chromocentres apparaissent plus gros et leur fluorescence est plus importante, témoignant d’une compaction plus importante. Le graphique de droite montre le niveau moyen de présence de l’histone de liaison H1 le long du chromosome 4 d’Arabidopsis. La perte de H2A.W conduit à une élévation du niveau de H1 dans les régions hétérochromatiques (indiquées par des rectangles gris).
 

Pour en savoir plus :
The histone variant H2A.W and linker histone H1 co-regulate heterochromatin accessibility and DNA methylation
Bourguet P, Picard CL, Yelagandula R, Pélissier T, Lorković ZJ, Feng S, Pouch-Pélissier MN, Schmücker A, Jacobsen SE, Berger F, Mathieu O.
Nature Communications 11 mai 2021.
https://doi.org/10.1038/s41467-021-22993-5

Contact

Olivier Mathieu
Chercheur CNRS à l'Institut génétique, reproduction et développement (GReD)

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