Le bruit des cellules : un mécanisme, deux modèles
Dans les cellules, la lecture de l’information génétique ne se fait pas continûment, mais de manière stochastique et intermittente. Ce phénomène, appelé bruit d’expression, joue un rôle clé dans des nombreuses situations en biologie. Il est responsable du rebond de la charge virale lorsque la trithérapie VIH est arrêtée mais il est aussi incontournable lors du développement embryonnaire. Dans ces deux articles, publiés conjointement dans la revue Nature Communications, les scientifiques ont utilisé le marquage de l’ARN messager et un traitement mathématique novateur pour montrer que la modulation du bruit d’expression dans les cellules infectées avec le VIH et dans les embryons de drosophile utilise un mécanisme commun, la pause proximale au promoteur de l’ARN polymérase Pol II.
Modèle drosophile : En utilisant l’embryon de drosophile comme organisme modèle, il est possible de suivre l’allumage des gènes en temps réel dans des embryons vivants. Ce réveil du génome s’opère de manière discontinue, car la transcription requiert l’assemblage de nombreux acteurs dont l’action est centralisée au niveau d’une séquence d’ADN particulière appelée promoteur. Pour déterminer la contribution des séquences du promoteur à la dynamique de la transcription, les scientifiques ont combiné des manipulations génétiques à de l’imagerie quantitative pour révéler les différents états des promoteurs et leur cinétique in vivo.
Ainsi, ils ont pu mettre en évidence que les promoteurs dits "à boite TATA" sont actifs très précocemment et opéraient via une simple transition entre un état inactif et un état permissif (actif), où une polymérase initie environ toutes les 10 secondes. Pour les promoteurs dits "à motif INR" (Initiateur), actifs plus tardivement, un état inactif supplémentaire existe, celui de la pause de la polymérase. Ces multiples états des promoteurs suggèrent un contrôle de leur activité à différentes échelles temporelles. Dans le contexte d’un embryon en développement rapide, comme lors des étapes des clivages embryonnaires chez les vértébrés et invertébrés, ce contrôle multi-échelle pourrait contribuer à la robustesse de l’expression génique lors du réveil du génome zygotique.
Modèle HIV : Chez les patients infectés par le HIV, il n'est pour l'instant pas possible d'éliminer le virus et les personnes doivent suivre un traitement à vie. L'éradication du virus est impossible à cause de formes latentes du virus, dans lesquelles une cellule infectée n'exprime pas le génome viral et reste indétectable par le système immunitaire. Cependant, ces virus latents peuvent occasionnellement se réveiller et relancer la propagation virale. C'est ce qui produit des rebonds viraux chez les patients qui arrêtent leur thérapie antivirale. Les mécanismes qui permettent le réveil viral dans les cellules latentes font l'objet de nombreuses études. Un des mécanismes principaux qui limite la transcription dans les cellules latentes est l'arrêt des ARN polymérases à proximité du promoteur viral. En effet, cet arrêt, aussi appelé pause, bloque l'entrée de nouvelles polymérases et inhibe ainsi l'expression du virus.
En utilisant une méthode qui permet de visualiser les ARN viraux dans les cellules vivantes avec une sensibilité de l'ordre de la molécule unique, les scientifiques ont analysé la transcription du génome viral dans des conditions qui miment celles des cellules latentes. De manière surprenante, ces cellules montrent de brefs pulses de transcription séparés par de longues périodes d'inactivité de plusieurs heures. Les scientifiques montrent que, contrairement à ce que l'on pensait précédemment, la pause des ARN à proximité du promoteur viral est un évènement stochastique et relativement rare (1/20 à 1/200 des polymérases font cet arrêt). Ainsi, lorsqu'une polymérase arrêtée se débloque, ce qui se produit de temps en temps de manière aléatoire, tout un convoi de nouvelles polymérases peut transcrire le génome viral avant qu'une polymérase ne s'arrête à nouveau. Ceci suffit à produire suffisamment de composants viraux pour infecter de nouvelles cellules et débuter un nouveau cycle infectieux.
Les mathématiques décodent le bruit des cellules
Les scientifiques ont basé le traitement mathématique de ces deux modèles sur une même méthode. Cette méthode génère une carte complète de positions des polymérases (telle une image de toutes les voitures sur une autoroute) pour chaque site de transcription. Ensuite, elle utilise des solutions exactes de ce qu’on appelle en mathématiques un « problème inverse » pour remonter aux taux de transition entre les états moléculaires du promoteur et quantifier ainsi la probabilité et la durée des pauses.
Ainsi, par l'analyse de deux systèmes expérimentaux très différents et l'utilisation d’un traitement mathématique des images "rendant visible l’invisible", les scientifiques démontrent que la pause de la RNA polymérase est facultative et stochastique, contribuant ainsi à l’intermittence de l’expression génétique.
Pour en savoir plus :
Quantitative imaging of transcription in living Drosophila embryos reveals the impact of core promoter motifs on promoter state dynamics.
Pimmett V, Dejean M, Fernandez C, Trullo A, Bertrand A, Radulescu O and Lagha M
Nature Communications. 23 juillet 2021. https://doi.org/10.1038/s41467-021-24461-6
Stochastic pausing at latent HIV-1 promoters generates transcriptional bursting
Katjana Tantale, Encar Garcia-Oliver, Marie-Cécile Robert, Adèle L'Hostis, Yueyuxiao Yang, Nikolay Tsanov, Rachel Topno, Thierry Gostan, Alja Kozulic-Pirher, Meenakshi Basu, Vera Slaninova, Jean-Christophe Andrau, Florian Mueller, Eugenia Basyuk, Ovidiu Radulescu, Edouard Bertrand
Nature Communications 23 juillet 2021. https://doi.org/10.1038/s41467-021-24462-5
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