Contrôle optique de neurones uniques avec de la lumière sculptée et des opsines somatiques
Figure : Cartographie de la connectivité neuronale. Stimulation de neurones avec de la lumière sculptée par holographie (points rouges) et enregistrement électrique des réponses d’un neurone spécifique (point jaune), dans des tranches de cerveau de souris© Dimitrii Tanese, Valeria Zampini

Contrôle optique de neurones uniques avec de la lumière sculptée et des opsines somatiques

Résultats scientifiques

Les équipes de Valentina Emiliani au Laboratoire de neurophotonique et de Ed Boyden au MIT à Boston (USA), ont élaboré une nouvelle approche qui permet le contrôle spatial et temporel de l’activation neuronale au niveau d’une cellule unique avec une résolution de l’ordre de la milliseconde. Cette approche combine le développement de nouvelles opsines pour l’optogénétique avec des technologies innovantes de mise en forme « holographique » de la lumière. Ceci ouvre la possibilité de sonder la connectivité entre chaque neurone dans un réseau neuronal et de comprendre comment les neurones contribuent ensemble au traitement de l’information. Cette étude a été publiée le 13 novembre 2017 dans la revue Nature Neuroscience.

Il y a plus de dix ans, Ed Boyden et ses collaborateurs ont été pionniers dans l’utilisation de protéines sensibles à la lumière (opsines) pour la manipulation optique de l’activité électrique neuronale. Cette nouvelle technique, appelée « optogénétique », révolutionne aujourd’hui la recherche en neurosciences, ouvrant à plus long terme des perspectives considérables dans le domaine de la recherche médicale, depuis le traitement des maladies neurodégénératives et de la dépression, jusqu'au rétablissement de la vision.

Jusqu'à présent, la majeure partie des expériences en optogénétique a utilisé une approche d'éclairement relativement simple qui consiste à illuminer une grande région du cerveau avec de la lumière visible. Malgré le manque de spécificité de cette illumination, cette approche a permis de contrôler l'activité d’un réseau spécifique de neurones grâce à la précision du ciblage génétique. Cependant, des neurones qui appartiennent au même réseau neuronal peuvent avoir des codes neuronaux et des fonctions différentes, comme par exemple être responsables de tâches différentes, répondre à divers stimuli ou encore avoir un modèle d’activité particulier.

Afin d’obtenir un contrôle indépendant d’une cellule ou d’un groupe spécifique de cellules, les chercheurs ont combiné deux techniques innovantes: une nouvelle stratégie de ciblage des opsines qui permet de les confiner dans le corps cellulaire du neurone, et un microscope bi-photonique à modulation du front d’onde, basé sur le principe de l’holographie (CGH) et qui permet de « sculpter » la lumière de manière à cibler des structures uniques ou des ensembles de structures cellulaires spécifiques.

De manière simplifiée, il est possible, grâce à l’utilisation d’un algorithme itératif, de calculer l’hologramme de phase qui, transmis à un faisceau lumineux, reproduit, après propagation de l’onde, une distribution lumineuse arbitraire (cible). Grâce à l’utilisation d’un modulateur spatial de lumière à cristaux liquides (LC-SLM), ce profil de phase est transmis à un faisceau laser et permet ainsi de générer, dans le plan focal de l’objectif du microscope, une nouvelle distribution lumineuse qui reproduit exactement le cible choisie par l’utilisateur.

Au cours des dernières années, l’équipe de Valentina Emiliani a démontré que l’excitation deux-photons combinée à la technique de CGH est efficace pour la focalisation de la lumière laser afin d’obtenir l’illumination précise d’une seule cellule ou d’un groupe de cellules dans le cerveau.  

Malgré la précision obtenue avec la technique de l'holographie, il est à ce jour difficile d’obtenir une activation optogénétique avec une vraie résolution cellulaire. L’explication réside dans le fait que les corps cellulaires des neurones sont densément entourés par des prolongements dits neurites (axones et dendrites) émanant des cellules voisines. Malgré le confinement optique du volume d'excitation, l’illumination du corps cellulaire d'un seul neurone peut également exciter ces neurites qui traversent le volume d’illumination, provoquant ainsi une excitation parasite des neurones voisins.

Afin de résoudre ce problème, l’équipe d’Ed Boyden a montré que la fusion de l’opsine CoChR à un court segment amino-terminal de la sous-unité KA2 du récepteur kaïnate permettait le ciblage sélectif de CoChR vers le corps cellulaire des neurones du cortex, évitant ainsi une expression de l’opsine dans les neurites.

Grâce à la combinaison de l’illumination holographique et de cette protéine de fusion, nommée CoChR somatique (soCoChR), les deux équipes ont pu mettre en évidence la stimulation de neurones individuels dans des tranches de cerveau avec une précision de la milliseconde. Ils ont également démontré qu’il est possible avec cette approche de mesurer les réponses d’un neurone spécifique à la stimulation de cellules voisines et détecter ainsi ses connections.

Ces travaux ouvrent la voie vers la réalisation d’une cartographie de la connectivité dans le cerveau et la possibilité d’analyser les changements entre les connections neuronales en temps réel, au cours de la réalisation de tâches ou de l’apprentissage de nouvelles capacités. Les chercheurs planifient maintenant le passage vers ce type d’étude à travers l’application de la méthode à l’animal vivant. Ils travaillent aussi à l’amélioration du ciblage de la molécule et au développement d’opsines avec des courants électriques élevés engendrant l’inhibition de l’activité neuronale.

Image retirée.
Figure : Cartographie de la connectivité neuronale. Stimulation de neurones avec de la lumière sculptée par holographie (points rouges) et enregistrement électrique des réponses d’un neurone spécifique (point jaune), dans des tranches de cerveau de souris qui expriment l’opsine non-somatique ou l’opsine somatique. La stimulation des cellules connectées à ce neurone a été réalisée avant et après la perfusion des bloquants des récepteurs synaptiques. Lorsque les expériences sont conduites dans des tranches de cerveaux qui expriment l’opsine somatique, les réponses enregistrées révèlent de claires réponses synaptiques (traces noires, sensibles aux bloquante des récepteurs synaptiques) et moins de réponses artéfactuelles (traces bleues, générées par la stimulation accidentelle des neurites du neurone enregistré) ce qui permet d’identifier la présence de connexions entre les neurones étudiés.
© Dimitrii Tanese, Valeria Zampini

 

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