Le p-crésol, un métabolite microbien capable d’induire des comportements autistiques chez la souris

Résultats scientifiques Neuroscience, cognition

L’autisme est associé à des anomalies du comportement social. Des études récentes suggèrent que le microbiote des patients autistes est perturbé. Cet article, publié dans la revue Microbiome, met en évidence chez la souris un lien de causalité entre exposition au p-crésol (un métabolite produit par le microbiote et anormalement élevé chez les patients autistes) et déficits du comportement social via un remodelage du microbiote.

Les patients affectés de troubles du spectre de l’autisme (TSA) présentent des déficits de communication et de comportement social, ainsi que des comportements répétitifs. Les TSA apparaissent dès les premières années de la vie et affectent plus de 1 % de la population, soit 700 000 personnes en France. Si les causes de l’autisme restent largement méconnues, des études récentes ont montré que les patients avec TSA présentent fréquemment des troubles gastro-intestinaux et des modifications de la composition de leur microbiote intestinal (ensemble des micro-organismes peuplant le tractus gastro-intestinal), suggérant une contribution possible de l’axe microbiote-intestin-cerveau aux TSA. Pourtant, une relation causale reste à démontrer.

En parallèle, des études menées chez l’animal ont montré que les bactéries du microbiote intestinal pouvaient agir à distance sur le cerveau et moduler le comportement en produisant de petites molécules appelées métabolites. Une de ces molécules, le p-crésol, est justement présente en plus grande quantité dans l’urine et les selles des patients autistes que dans celle de sujets neurotypiques. Le p-crésol est notamment produit à partir de la tyrosine alimentaire par les bactéries du genre Clostridioides, qui sont surabondantes chez les patients souffrant de TSA. En s’appuyant sur ces résultats, les chercheurs ont émis l’hypothèse que des modifications de la composition du microbiote pouvaient, via la production de p-crésol, contribuer aux symptômes comportementaux observés chez les patients autistes.

Pour tester cette hypothèse, un modèle animal a été développé en exposant des souris saines au p-crésol dilué dans l’eau de boisson de l’âge de 4 semaines à l’âge adulte. Les chercheurs ont ensuite suivi des paramètres physiologiques de base et le comportement des animaux traités au p-crésol et d’animaux contrôles recevant seulement l’eau de boisson. Ils ont constaté que le p-crésol n’affecte ni la croissance, ni la prise alimentaire ou hydrique des animaux, qui se développent normalement. Au niveau comportemental, le p-crésol n’induit pas de comportements anxieux et l’activité locomotrice et la cognition des animaux sont préservées. En revanche, le p-crésol induit sélectivement des déficits d’interactions sociales et des comportements répétitifs, rappelant les symptômes typiques des TSA. Aussi, les souris traitées au p-crésol présentent une diminution de l'activité des neurones dopaminergiques centraux impliqués dans le circuit de récompense sociale. Les déficits comportementaux observés s’accompagnent aussi de changements de composition du microbiote et d’une élévation de l’excrétion fécale de p-crésol, tel qu’observé chez les patients autistes. D’autre part, lorsque les chercheurs ont transféré le microbiote induit par le p-crésol à des souris saines, ils ont été capables de transférer les déficits d’interactions sociales et l’augmentation des niveaux fécaux de p-crésol. En séquençant le microbiote de ces souris, les chercheurs ont pu identifier d'éventuelles bactéries productrices de p-crésol. Finalement, les auteurs ont montré que le transfert d’un microbiote sain à des souris préalablement traitées au p-crésol restaure leurs déficits sociaux et l'excitabilité de leurs neurones dopaminergiques, tout en diminuant l’excrétion de p-crésol.

Ces travaux démontrent un lien de causalité entre un métabolite microbien et l’induction de comportements autistiques, via un remodelage du microbiote. Aussi, ils suggèrent que cibler le microbiote et la production microbienne de p-crésol pourrait être une stratégie thérapeutique valide pour améliorer le comportement social des patients autistes.

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Figure : L’exposition au p-Crésol induit des déficits d’interaction sociales et une augmentation de l’excrétion fécale de p-Crésol, phénomènes qui sont restaurés après transfert d’un microbiote sain aux souris traitées au p-Crésol. Test d’interaction sociale dyadique : temps total passé en contact social (A),  Test des 3 chambres : index de sociabilité (B),  et niveaux de p-Crésol fécaux (C), après 4 semaines de traitement au p-Crésol (pre) et 3 semaines après transfert d’un microbiote sain (post). 

Pour en savoir plus :
The microbial metabolite p-Cresol induces autistic-like behaviors in mice by remodeling the gut microbiota
Patricia Bermudez-Martin, Jérôme A. J. Becker, Nicolas Caramello, Sebastian P. Fernandez, Renan Costa-Campos, Juliette Canaguier, Susana Barbosa, Laura Martinez-Gili, Antonis Myridakis, Marc-Emmanuel Dumas, Aurélia Bruneau, Claire Cherbuy, Philippe Langella, Jacques Callebert, Jean-Marie Launay, Joëlle Chabry, Jacques Barik, Julie Le Merrer, Nicolas Glaichenhaus, Laetitia Davidovic
Microbiome 8 juillet 2021. DOI:
https://doi.org/10.1186/s40168-021-01103-z

Contact

Laetitia Davidovic
Chercheuse CNRS à l' Institut de pharmacologie moléculaire et cellulaire

laboratoire

Institut de Pharmacologie Moléculaire et Cellulaire (Université Côte d’Azur/CNRS)
660 routes des Lucioles
06560 Valbonne