Pollution de l’air intérieur : impact sur la peau et la détoxification protéique cellulaire

Résultats scientifiques

Les polluants de l’air intérieur peuvent altérer la peau. Anne-Laure Bulteau à l’ Institut de génomique fonctionnelle de Lyon et Sylvie Lacombe à l’Institut des sciences analytiques et de physico-chimie pour l'environnement et les matériaux, en collaboration avec Carine Nizard (LVMH-recherche), montrent que les composés organiques volatiles de l’air intérieur ciblent la machinerie cellulaire d’élimination des protéines endommagées. Cette étude qui pourrait avoir des répercussions importantes pour la compréhension des mécanismes du vieillissement cutané, a été publiée  le 6 septembre 2017 dans la revue Scientific Reports.

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, la pollution de l’air représente actuellement le principal risque environnemental pour la santé humaine. En effet, la pollution de l’air en milieu urbain accroît le risque de maladies cardiovasculaires, de maladies respiratoires aiguës (pneumonie et asthme par exemple) et chroniques (telles que Bronchopneumopathie chronique obstructive ou cancer du poumon). Ces pathologies sont à l’origine d’une surmortalité estimée à 1,3 million de personnes par an au niveau mondial dont plus de la moitié dans les pays en voie de développement.

 

Si la qualité de l’air extérieur fait l’objet, depuis plusieurs décennies, de règlementations qui permettent aujourd’hui de constater une diminution globale de la pollution dans la plupart des grandes agglomérations européennes et françaises, la pollution de l’air intérieur a, quant à elle, été longtemps sous-estimée. Cependant, en France, la qualité de l’air intérieur constitue désormais une préoccupation de santé publique. En effet, nos modes de vie sédentaires et citadins font qu’en moyenne, une personne passe 85 % de son temps dans des environnements clos dans lesquels se retrouvent de nombreux polluants, principalement les composés organiques volatiles (COV), issus de sources d’émission multiples (matériaux de construction, mobilier, produits de décoration, chauffage, cuisson, produits d’entretien et de bricolage). En France en 2014, l’impact de la pollution de l’air intérieur est ainsi estimé à 20 000 décès par an. Dans la mesure où l’air intérieur est un mélange complexe de nombreuses substances en faible concentration, il est difficile d’en évaluer les conséquences précises sur la santé et plus particulièrement sur la peau.

 

La peau constitue une surface importante d’échange entre notre organisme et notre environnement. Ce tissu à la structure complexe, répond de façon graduelle à un stress environnemental, qu’il soit physique ou chimique, allant de l’érythème jusqu’au développement de tumeurs cancéreuses en passant par l’inflammation, l’eczéma et le vieillissement prématuré.

 

Les chercheuses avec le concours de Mickael Le Bechec (IE CNRS) ont mis au point un montage constitué d’une enceinte étanche permettant d’exposer des kératinocytes et des modèles de peaux humaines à des concentrations stables en COV représentatifs de la pollution de l’air intérieur (Acétaldéhyde, Formaldéhyde, Acétone, Hexane et Toluène) (Figure 1). Une attention particulière a été portée à la composition du mélange gazeux afin qu’il permette de reproduire une exposition chronique. Elles ont montré que cette exposition aux COV entrainait notamment une baisse significative de la survie cellulaire des kératinocytes et des cellules de la peau. Une exposition répétée à ces polluants induit une altération significative de la machinerie d’élimination des protéines cellulaires, ainsi qu’un stress oxydatif conduisant à des dommages à l’ADN et aux protéines, mais également à une altération de la respiration mitochondriale.

 

Cette découverte est importante car la machinerie d’élimination des protéines ou protéasome, joue un rôle déterminant pour un grand nombre de processus cellulaires, en particulier dans la réponse au stress. Le protéasome assure l'élimination des protéines endommagées qui se trouvent dans la cellule, jouant ainsi un rôle de nettoyage cellulaire avec recyclage des acides aminés pour la formation de nouvelles protéines. En effet, l'oxydation des protéines constitue une des principales causes du vieillissement cellulaire et des maladies associées. Avec le temps, les protéines de l'organisme accumulent des modifications, notamment oxydatives, qui rendent leurs fonctions moins efficaces. C'est le cas pour les enzymes du métabolisme, les protéines impliquées dans les grandes fonctions cellulaires, ou les protéines de structure. Les nouvelles données de cette étude pourraient avoir des répercussions intéressantes sur la compréhension des mécanismes du vieillissement cellulaire car la pollution de l’air intérieur semble altérer l’homéostasie cellulaire qu’il est donc nécessaire de rétablir et éventuellement de protéger.

 

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Figure 1. Enceinte étanche d’exposition des explants de peau à une atmosphère polluée. Les biopsies de peaux sont placées dans des boites de culture contenant un milieu nécessaire à leur survie. Cette enceinte étanche préalablement purgée avec de l’air pur saturé d’humidité est ensuite fermée. Les COV (formaldéhyde, acétone, etc) sont alors injectés à travers la paroi de l’enceinte (en haut à gauche) dans laquelle ils s’évaporent grâce à la présence de deux ventilateurs. La température, l’humidité et les concentrations en COV sont enregistrées au cours du temps grâce à des capteurs situées en haut à droite.
 

 

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Figure 2. Les molécules d’adhérence cellulaire comme la E-Cadhérine (représentée en rouge dans la figure A), sont des glycoprotéines transmembranaires qui jouent un rôle important au cours du développement embryonnaire, chez l’adulte normal pour la maintenance des épithéliums et la réparation tissulaire, et dans certains processus pathologiques, tels que l’inflammation ou le cancer. Les molécules d’adhérence assurent non seulement  la reconnaissance spécifique entre deux cellules ou entre la  cellule et la matrice extra-cellulaire, mais aussi la transmission de signaux capables de modifier le comportement de la cellule avec son environnement. Les composés organiques volatiles (COV) (figure B) répriment l’expression de la E-Cadhérine cruciale pour l’homéostasie du tissu cutané, ce qui induit des effets délétères sur le maintien des fonctions protectrices de la peau. 

© Anne-Laure Bulteau, Sylvie Lacombe, Pascal Descargues, Carine Nizard.
 

 

 

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