Les embryons multicolores des araignées d'eau

Résultats scientifiques Développement, évolution

Les couleurs animales sont mal connues chez les embryons. Une étude parue dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences révèle une variété de coloration embryonnaire chez des punaises vivant sur l'eau. Les dessins jaune et rouge de ces embryons pourraient dissuader prédateurs et parasites. Ces couleurs sont dues à l'activation dans les pattes et les antennes de gènes qui contrôlent normalement la pigmentation des yeux. Ce modèle montre comment la reconversion d'une voie biochimique peut générer la biodiversité des couleurs animales au cours de l'évolution.

Chez les animaux, les couleurs ont de nombreuses fonctions vitales, comme la protection contre les UV, la régulation de la chaleur corporelle, le camouflage ou encore la recherche de partenaires sexuels. Alors que les colorations animales sont très étudiées chez les adultes, l'origine et le rôle des couleurs embryonnaires sont mal connus.

Les embryons des punaises semi-aquatiques, improprement connues sous le nom "d'araignées d'eau", arborent des couleurs vives dont l'origine vient d'être élucidée par cette étude. Les chercheurs ont découvert une impressionnante diversité de coloration dans les embryons de plusieurs espèces de punaises semi-aquatiques venues essentiellement des Amériques. Aux stades larvaire et adulte, ces insectes aux yeux rouge sombre ont en général un dos sombre et un ventre clair qui les rend furtifs dans leur habitat, à l'interface entre l'air et l'eau. À l'inverse, leurs embryons présentent une variété de dessins jaune et rouge vif bien visibles à travers leur coque transparente. Cette coloration pourrait avoir un rôle de signal visuel pour dissuader les prédateurs et les guêpes parasites, protégeant ainsi les œufs vulnérables qui restent collés à leur support immergé durant une ou deux semaines, selon les espèces.

L'analyse génétique a montré que les punaises semi-aquatiques produisent ces couleurs embryonnaires grâce à l'activation dans les pattes et les antennes d'une voie biochimique qui produit normalement des pigments visuels rouges dans les yeux. L'utilisation de méthodes de chimie analytique a permis de détecter le pigment rouge érythroptérine et le pigment jaune xanthoptérine dans les embryons de deux espèces différentes.

L'étude évolutive, fondée sur l'observation de 34 espèces, a permis de révéler que l'ancêtre de ce groupe présentait déjà une coloration embryonnaire jaune il y a environ 200 millions d'années. Par la suite, la pigmentation rouge des pattes ou des antennes est apparue au moins six fois indépendamment par évolution convergente. Ces découvertes établissent un modèle pour rechercher comment la reconversion d'une voie biochimique peut générer la biodiversité des couleurs animales.

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Figure : Diversité de coloration embryonnaire chez neuf espèces de punaises semi-aquatiques. Toutes ont les yeux rouges. De gauche à droite: Microvelia americana, Microvelia paludicola, Oiovelia cunucunumana (sans coloration extra-oculaire), Gerris buenoi (chorion non transparent), Neogerris hesione, Neogerris magnus, Limnogonus franciscanus, Limnoporus dissortis, Limnogonus aduncus.
© Aidamalia Vargas-Lowman

Pour en savoir plus :
Cooption of the pteridine biosynthesis pathway underlies the diversification of embryonic colours in water striders.
Vargas-Lowman A., Armisen D., Floriano C., Cordeiro I., Viala S., Bouchet M., Bernard M., Le Bouquin A., Santos E., Berlioz-Barbier A., Salvador A., Moreira F., Bonneton F. and Khila A.
Proc Natl Acad Sci U S A. September 4. 2019. doi.org/10.1073/pnas.1908316116

Contact

Abderrahman Khila
Chercheur CNRS à l'Institut de génomique fonctionnelle de Lyon (IGFL) - (CNRS/ENS Lyon/Univ Claude Bernard)
François Bonneton
Maître de conférences à l'Institut de Génomique Fonctionnelle de Lyon (IGFL) - (CNRS/ENS Lyon/Univ Claude Bernard)