L’abeille dans un monde virtuel

Résultats scientifiques

Pour s’orienter et reconnaitre les fleurs exploitées dans la nature, les abeilles apprennent et mémorisent les couleurs, les formes et la position des objets d’intérêt. L’équipe de Martin Giurfa au Centre de recherches sur la cognition animale, a réussi un saut technologique exceptionnel en mettant en place un système de réalité virtuelle dans lequel une abeille fixée, mais en libre marche, apprend et mémorise des discriminations visuelles. Les abeilles ont pu ainsi contrôler et manipuler des images visuelles virtuelles dans le but d’obtenir une récompense alimentaire ou éviter une punition. Cette étude publiée le 10 octobre 2017 dans la revue Scientific Reports, ouvre la porte à de nouveaux travaux permettant de mieux comprendre les mécanismes de la vision chez cet insecte par le couplage entre réalité virtuelle et l’enregistrement de l’activité neurale des centres visuels du cerveau.

 

Dans leur milieu naturel, les abeilles font preuve de remarquables capacités d’apprentissage visuel. Elles apprennent et mémorisent les caractéristiques des fleurs qu’elles exploitent et les signaux visuels qui les guident de retour à la ruche. Grâce à ces capacités, elles sont capables d’assurer un butinage efficace et une navigation performante dans l’environnement complexe qui les entoure. Ces performances visuelles ont attiré l’attention de nombreuses équipes de recherche depuis que le prix Nobel Karl von Frisch démontra il y a 100 ans, la capacité des abeilles à voir le monde en couleurs.
De ce fait, de nombreuses études ont essayé de comprendre les mécanismes de l’apprentissage visuel chez des abeilles en libre vol, entrainées à voler de la ruche au laboratoire pour obtenir une gouttelette de solution sucrée dans des dispositifs permettant de tester leurs choix visuels. Ceci a permis de montrer que ces insectes apprennent non seulement des couleurs, mais aussi des formes, des symétries et des signaux de mouvement et de profondeur quand ceux-ci sont associés à une récompense alimentaire.
Bien que riches en résultats, ces travaux menés au cours de nombreuses années n’ont pas permis encore d’analyser en parallèle les mécanismes cérébraux impliqués dans ces taches d’apprentissage visuel. L’aspect limitant a été le fait d’utiliser des animaux qui volent librement entre la ruche et le laboratoire, ce qui empêche l’utilisation de méthodes d’enregistrement de l’activité nerveuse nécessitant l’immobilité des sujets analysés. La réalité virtuelle offre la possibilité de faire sauter ces verrous techniques. Cette technologie, déjà répandue pour des études à l’échelle humaine, permet de créer un environnement simulé évoluant au gré des actions de l’individu qui s’y trouve. Si l’individu reste sur place mais que ses actions limitées génèrent un environnement dynamique, il est possible de mesurer son activité cérébrale dans ce monde virtuel. 
Les chercheurs ont réalisé un saut technologique exceptionnel en mettant en place un système de réalité virtuelle dans lequel une abeille en marche stationnaire apprend et mémorise des discriminations visuelles (Figure). L’abeille, fixée par le thorax, marche sur un compensateur de locomotion (une sphère creuse de styropor flottant sur des jets d’air). Les déplacements de la sphère, induits par la marche de l’abeille, sont enregistrés par des capteurs optiques qui permettent le couplage et le contrôle d’un environnement visuel projeté sur un écran semi-circulaire placé devant l’insecte. Un vidéoprojecteur de haute résolution projette des images que l’abeille apprend à contrôler par ses choix et son expérience. Ainsi, elle apprend à ramener vers elle des images récompensées par une gouttelette de solution sucrée et à éviter des images punies par différents types de solutions aversives. Au cours de ces expériences, conduites par Alexis Buatois dans le cadre de sa thèse de doctorat, les abeilles ont démontré une capacité à discriminer les stimulations visuelles virtuelles et à améliorer leur performance en fonction de la punition associée aux images à éviter. Leur apprentissage résulte ainsi de l’interaction entre l’appétence associée au stimulus recherché et l’aversion générée par les images punies.
Ces résultats prometteurs ouvrent des portes vers de nouvelles études couplant réalité virtuelle et techniques invasives pour l’étude de l’activité cérébrale chez l’insecte en marche stationnaire. Puisque l’abeille reste fixe dans le même point de l’espace mais choisit activement des stimuli virtuels, il est possible d’enregistrer les neurones impliqués dans ces choix. Ces travaux sont en cours grâce à la mise en place de la réalité virtuelle appliquée à l’abeille.

 

Image retirée.
Figure : Abeille fixée par le thorax en marche stationnaire sur un compensateur de locomotion. L’abeille marche sur le même point de l’espace et ses mouvements permettent de ramener vers elle l’image récompensée par une gouttelette de sucre (p. ex. un disque vert) et éloigner une image alternative punie avec une solution amère de quinine (p. ex. un carreau bleu). Les trajectoires de l’abeille sont reconstruites par des capteurs optiques qui enregistrent les mouvements de la sphère flottante sur des jets d’air sur laquelle l’abeille marche.

© Patrick Schultheiss, Alexis Buatois

 

 

 

En savoir plus

Contact

Martin Giurfa
Enseignant-chercheur au Centre de recherche sur la cognition animale (CRCA) - (CNRS/Univ. Toulouse Paul Sabatier)