La perte olfactive dans la COVID-19, un indicateur précoce de la surcharge hospitalière

Résultats scientifiques Neuroscience, cognition

Au printemps 2020, la France – comme beaucoup d'autres pays – entrait en confinement pour éviter une surcharge des services hospitaliers liée à la COVID-19. Ce travail, publié dans la revue Nature Communications, montre que plus une région française enregistrait de déclarations de perte de l’odorat mi-mars, plus le nombre de personnes hospitalisées, en réanimation, ou décédées dans cette région était élevé plusieurs semaines plus tard. La « 2ème vague » redoutée étant en train de se produire, la perte de l’odorat au niveau populationnel devrait être considérée par les pouvoirs publics afin d’adapter leurs mesures et d’en suivre l’impact.

Entre mars et juin 2020, la France a pris des mesures drastiques pour éviter le débordement des unités de soins intensifs et des services de réanimation dans les hôpitaux. Ces mesures ont un impact lourd sur la santé économique de notre pays et sur la santé mentale de nos concitoyens. Un enjeu important en ces temps de recrudescence de la maladie est de tenter de réduire cet impact. Pour cela, il paraît indispensable de mettre en place des moyens adaptés pour tâcher de réguler la propagation de la maladie, tout en limitant l’impact sociétal et économique des mesures gouvernementales.

Les scientifiques ont testé la question suivante : la mesure en temps réel des pertes du goût et de l’odorat dans la population, pendant la crise sanitaire, peut-elle constituer un indicateur précoce de la surcharge hospitalière? Si tel était le cas, ce résultat permettrait d’orienter en amont les stratégies régionales de prise en charge des patients COVID-19 dans les différents services hospitaliers. Afin de répondre à cette question, les chercheurs ont mis en lien les réponses de plus de 5000 personnes à une étude en ligne sur les perturbations de l’odorat et du goût avec les indicateurs gouvernementaux de la propagation de la maladie et avec les mesures gouvernementales prises dans la période du confinement du printemps 2020. Des liens spatiaux et temporels ont été mis en évidence. En effet, plus une région française présentait de cas de modification de l’odorat ou du goût à un temps donné, plus la surcharge des hôpitaux (personnes hospitalisées, en réanimation ou décédées) dans cette région était élevée. La corrélation était si forte que le seul indice « perte d’odorat et de goût » pouvait quasiment permettre de déterminer la couleur « rouge » (stratégie de dé-confinement stricte) ou « verte » (stratégie de dé-confinement moins stricte) d’une région donnée. De plus, les chercheurs ont observé un pic dans les pertes d’odorat et de goût autour du 21 mars, précédant d’environ 10 jours le pic d’admissions de patients COVID-19 en réanimation. Ce pic précoce de perte d’odorat était aussi détectable, de manière indépendante, par l'observation de l’activité des français sur internet (évolution du nombre de recherches concernant les pertes d’odorat et de goût). Ces changements chimiosensoriels semblent donc être un indicateur précoce de la surcharge des hôpitaux français. Ils permettraient d’anticiper l’engorgement des hôpitaux de manière plus efficace que d’autres indicateurs utilisés par le gouvernement (tels que le nombre de consultations d’urgence pour la COVID-19). 

Dans ce travail, les chercheurs ont également mis en évidence que les modifications de l’odorat et du goût pouvaient refléter les effets du confinement. En effet, dès 5 jours après la mise en place du confinement, une diminution significative de l'apparition de nouveaux symptômes « pertes d’odorat et de goût » a été constatée. Ceci plaide en faveur d’un effet rapide du confinement sur la pandémie. Les mêmes résultats ont été obtenus pour l’Italie, qui avait pris des mesures de confinement strictes similaires à la France. Mais au Royaume-Uni, qui a appliqué des mesures moins contraignantes, l’effet du confinement sur la réduction de ces symptômes a été moins rapide.

Dans l’ensemble, ces données suggèrent que les décideurs en santé publique pourraient suivre les changements de perte d’odorat et de goût au niveau populationnel afin de les utiliser, en combinaison avec d’autres indices, comme indicateur de la propagation de la COVID-19 et de son effet sur le stress hospitalier. Un tel suivi à l’aide d’un questionnaire en ligne serait peu coûteux, facile à mettre en œuvre, et constituerait une aide précieuse à la mise en place des stratégies régionales de prise en charge des patients COVID-19 dans les différents services hospitaliers. Les chercheurs ont déjà mis en place un site internet vous permettant de déclarer votre perte de l’odorat pendant cette crise sanitaire (voir https://form.crnl.fr/index.php/146862?newtest=Y&lang=fr).

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© Denis Pierron, carte de base OpenStreetMap et Fondation OpenStreetMap

Figure : Au printemps 2020, les régions françaises ont été catégorisées en zones rouges ou vertes par le gouvernement français afin d’orienter les stratégies de dé-confinement. Les points représentent les personnes rapportant une modification de l’odorat et du goût dans l’étude par questionnaire en ligne du GCCR : Global Consortium for Chemosensory Research, https://gcchemosensr.org

 

Pour en savoir plus
Smell and taste changes are early indicators of the COVID-19 pandemic and political decision effectiveness.
Pierron D, Pereda-Loth V, Mantel M, Moranges M, Bignon E, Alva O, Kabous J, Heiske M, Pacalon J, David R, Dinnella C, Spinelli S, Monteleone E, Farruggia MC, Cooper KW, Sell EA, Thomas-Danguin T, Bakke AJ, Parma V, Hayes JE, Letellier T, Ferdenzi C, Golebiowski J & Bensafi M
Nature Communications 14 Oct 2020 https://doi.org/10.1038/s41467-020-18963-y.

Contact

Denis Pierron
Chercheur CNRS au laboratoire Anthropologie moléculaire et imagerie de synthèse (AMIS)
Moustafa Bensafi
Chercheur CNRS au Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL)

Laboratoires

Laboratoire anthropologie moléculaire et imagerie de synthèse (AMIS) - (CNRS / Université Toulouse III Paul Sabatier)
UNIVERSITE TOULOUSE - PAUL SABATIER
Faculté de Médecine Purpan
37 allées Jules Gesde
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