Courir ou ramer : quelle est la meilleure façon de marcher sur l’eau ?

Résultats scientifiques

A l'aide d'analyses biomécaniques, morphologiques et phylogénétiques, des chercheurs de l’Institut de génomique fonctionnelle de Lyon ont étudié chez les punaises d’eau les adaptations évolutives associées à la transition entre la vie terrestre et la vie à la surface de l’eau. Ils montrent que cette transition a été rendue possible grâce à des modifications morphologiques et comportementales ayant affecté leur locomotion au cours de l’évolution. Cette étude a été publiée le 8 décembre 2016 dans la revue Current Biology.

Comprendre comment l’acquisition de nouvelles niches écologiques, et l’utilisation des ressources qui y sont associées, influencent l’évolution et la diversification des espèces est un enjeu majeur de la biologie évolutive. Pour mieux appréhender comment ces forces évolutives agissent, Antonin Crumière, Emilia Santos, David Armisén et Abderrahman Khila de l’Institut de Génomique Fonctionnelle de Lyon, en collaboration avec Marie Sémon du Laboratoire de Biologie Moléculaire et Cellulaire (ENS Lyon) et Felipe Moreira de l’Institut Oswaldo Cruz (Rio de Janeiro, Brésil), ont étudié la transition écologique accomplie par les punaises d’eau (Gerromorphes) lors du passage de la vie terrestre à la vie à la surface des eaux.

Les 2200 espèces de ce groupe d’insectes partagent des ancêtres qui vivaient exclusivement sur terre et qui ont transité vers une vie à la surface des eaux allant de simples flaques jusqu’au large des océans. Ce nouveau mode de vie implique de nouvelles pressions de sélection, divergentes de celles rencontrées par les insectes terrestres. En vivant sur l’eau, les Gerromorphes sont exposés aux prédateurs comme les poissons. La seule stratégie qui s’offre à eux pour survivre est une fuite rapide à l’opposé des insectes terrestres qui peuvent se cacher sous des pierres ou dans les plantes. La nature du substrat sur lequel se déplacent les espèces joue également un rôle important. Durant la locomotion sur l’eau, le mouvement des pattes induit un déplacement du substrat dans le sens opposé à celui du mouvement de l’insecte. L’insecte doit donc être plus rapide que ce mouvement s’il veut avancer et éviter de faire du sur-place. L’utilisation d’une camera à haute vitesse pour analyser la vitesse sur terre et/ou sur eau des Gerromorphes et de proches cousins terrestres, a révélé que la vie sur l’eau est associée à une vitesse de déplacement plus élevée que sur terre.

Cette augmentation de la vitesse est rendue possible grâce à diverses adaptations acquises par les Gerromorphes au cours de l’évolution. Deux de ces adaptations sont l’allongement de la taille de la deuxième paire de pattes et l’augmentation de l’amplitude du mouvement de ces dernières. Une autre adaptation concerne le mode de locomotion des insectes. Les Gerromorphes qui occupent des niches à l’interface entre terre et eau, ont une morphologie similaire à celle des insectes terrestres et se déplacent de la même façon que ces derniers en utilisant un mouvement qui s’apparente à la marche. Cependant les insectes capables de marcher sur l’eau, à l’inverse de leur cousins terrestres, ont pu augmenter la vitesse et la fréquence de leurs pas afin de bouger plus rapidement sur l’eau. Des espèces de Gerromorphes plus dérivées, vivant exclusivement à la surface de l’eau, ont quant à elles développé un nouveau mode de locomotion qui s’apparente à la nage. Ce nouveau mode de locomotion, rendu possible par l’allongement drastique de la deuxième paire de pattes, a permis à ces insectes de fortement diminuer la fréquence de leurs pas ainsi que leur dépense énergétique tout en maintenant la vitesse requise pour la vie sur l’eau. Ce nouveau mode de locomotion a permis de libérer les Gerromorphes de la contrainte liant la taille du corps et la fréquence des pas, ce qui a rendu possible l’apparition d’espèces plus grosses et a ainsi contribué à la diversification du groupe.

 

Image retirée.

Figure : Représentation des changements d’habitats et des adaptations associées chez PyrrhocorisMesovelia et GerrisPyrrhocoris et Mesovelia utilisent tous deux la marche comme mode de locomotion. Mesovelia qui vit à l’interface entre terre et eau, a connu un allongement de sa deuxième et troisième paire de pattes (flèches bleues) comparé a Pyrrhocoris, ainsi qu’une augmentation de l’amplitude et de la fréquence de ses pas, ce qui lui permet de se déplacer sur l’eau. Gerris qui est plus dérivé et vit dans des environnements exclusivement aquatiques, a subi un très fort allongement de la deuxième paire de pattes (flèches bleues) associé à un changement de mode de locomotion. Gerris utilise la rame, ce qui lui permet de diminuer sa consommation d’énergie lors de ses déplacements.

© Antonin Crumière

Image illustrant le résumé : © Abderrahman Khila

 

Contact

Abderrahman Khila
Chercheur CNRS à l'Institut de génomique fonctionnelle de Lyon (IGFL) - (CNRS/ENS Lyon/Univ Claude Bernard)